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Parc de Disney Paris.

Escaliers de Montmartre.

Montée du Sacré-coeur.

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Boutique de souvenirs à Montmartre

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Portes-clés vivants

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Air Tag de localisation Apple

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Buildings of Disasters, Laurene & Constantin Boym

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Porte-clé Tour Eiffel Paris

𓍼Surabondance merveilleuse, 

Lou Parisot, 2024

 

HABITER UNE ZONE ULTRA-TOURISTIQUE


En 1997, Marc Augé imagine dans son livre « L’impossible voyage, le tourisme et ses images » que Disney à racheté les grands quartiers de Paris pour travailler sur la « reconstruction du Paris historique ». Plus personne n’habite dans la ville intra-muros. L’expérience est entièrement basée sur la visite touristique, physique ou virtuelle (dont beaucoup préfèrent ce dernier mode de visite qui permet de “mieux voir” et de moins endurer). L’analogie au parc à thème n’est pas si “délirante” lorsque l’on observe les dernières ambitions de Walt Disney.  Une partie de sa recherche était consacrée à un projet immobilier d’envergure, qui ne verra jamais le jour : une ville laboratoire du futur qui mettrait en avant le bonheur des habitants : E.P.C.O.T. pour Experimental Prototype Community of Tomorrow (Projet Expérimental d’une Communauté du Futur).  La société y serait entièrement restructurée via une communauté planifiée et contrôlée de 20 000 habitants exemplaires. Dans sa ville, pas de propriétaires terriens, uniquement des locataires avec de modestes loyers. La retraite n’y existe pas car chacun se voit proposer une activité jusqu’à la fin. La construction d’un dôme est aussi réfléchie pour la régulation du climat. Quant au trafic automobile : caché sous terre afin de privilégier les espaces piéton en surface.


À cent mètres du parking de la porte aux chats à paillettes se tiennent les premiers escaliers d’accès à la butte. Pour vous donnez une image : ils sont plus hauts qu’un immeuble Haussamien, ce qui, par conséquent, en décourage plus d’un.
Personnellement, j’ai développé une forme de Scalaephilie qui se caractérise par des appels frénétiques à leur l’utilisation. L’investissement temporel physique de leur emploi me donne une telle satisfaction que je voue une véritable adulation à ces zones autonomes de passages sobres qui symbolisent : la piétonisation, le jeu via les rambardes ainsi que la lente expérience sensible de la transformation d’un paysage perturbateur urbain à l’appréciation du paisible panoramique. Sans compter la protection auditive et l’impossiblité de l’exploitation commerciale. Ils permettent un voyage court, à faible impact.

Malgré tout, l’arrivée au sommet désillusionne par une zone d’interaction massive, voilant tout impacts humains ou environnementaux. Une mise en scène villageoise pittoresque accueille sans scrupules des objets-souvenirs tous produits en chine, des peintures factices signées « Paul » ou « Claude », des cafés-clichés français, des crytpides à la sauvette au bord du gouffre. Décors illusoires et visiteurs passifs ne sont pas sans rappeler le concept du « spectacle » théorisé par Guy Debord en 1967.

À Montmartre, tout semble être une activité prête à être consommer, vouée à capter l’attention (caricature, petit train, statue-vivante…). Sauf qu’à l’inverse du théâtre, il n’y a ni début, ni fin, ni comédiens, ni metteur en scène. À priori, l’espace n’est pas non plus défini comme un lieu privé dédié au spectacle. Sauf preuve du contraire, Montmartre ne dispose pas de porte d’entrée, ou de billetterie, ou d’heures d'ouvertures. Par conséquent, bien que la forme soit proche du spectacle, cela reste un espace libre de la ville à habiter. Je ne sais pas si ce sont les touristes qui dépossèdent les habitants du lieu, puisque celui-ci est libre. Serait-ce les habitants qui s’en dépossèdent eux-même par l’imaginaire d’un espace dit “touristique”, en correspondance au “parc à thème” ?


Une des pratiques que j’ai mise en place lors des investigations dans la zone surabondante de butte (place du Tertre, Esplanade du Sacré-coeur, …), c’est l’écoute dissimulée des réactions visiteurs. Pantoufle de Cristina en tête, j’inspecte aussi les pompes. Un des profils de Cristina Tolentino (ancienne locataire de mon appartement que je n'ai jamais retrouvée en ligne pour lui rendre une pantoufle oubliée) était une chercheuse, enseignante en Théâtre Universitaire, au Brésil. Dans un de ses articles publié en ligne, elle écrit : 

« Le temps passe, tout change à chaque instant, précipitation, pression, désaccords, superficialité, manque d'affection, revenu, profit, production, répétition, clonage, violence, trafic, insécurité, modernité, post-modernité, cadrage, mondialisation, masse...Il faut être « fou » pour se retrouver au milieu de tant de chaos, pour percer cette grille transparente qui nous enferme tous dans cette roue névrotisante. Un voyage à travers des mers tumultueuses : qui devient fou ou reste immunisé contre notre solitude et notre chaos quotidien. Les étudiants de Théâtre Universitaire, en collaboration avec le metteur en scène, ont eu comme proposition pour la pratique de la mise en scène, l'expérimentation, l'investigation et la recherche du langage expressionniste dans une réinterprétation contemporaine et comme thème, le drame de la solitude humaine. Les personnages en ressortent extatiques et possédés, mais dotés des véritables marques de l'humain, refusant la réalité "morte", où le Soi se confronte isolé au monde aliéné, à travers une série de saisons, sept jours, sept étapes - l'Invitation, la Décision, le Voyage, la Solitude, le Double, le Combat, la Libération. » Traduction du portugais. https://www.focoincena.com.br/com-passos/15895

Si on considère que Montmartre est l’aboutissement parfait d’une théâtralisation urbaine de l’espace avec pour culte : l’étalagisme, l’hypothèse que cette Cristina Tolentino ait vécu ici, me semble plausible. Déception sur ce profil : aucune trace virtuelle d’une possible existence à Paris.

 


PRATIQUES MÉMORIELLES


Les objets-souvenirs-répliques de lieux sont les premiers vendus pour la remémoration d’un voyage. Au box office : le porte-clé. Souvent disponible aux caisses des boutiques, il comporte l’avantage indéniable d’être  petit, facile à offrir et à porter. On lui attribue même une fonction pseudo-utilitaire grâce à son attache et sa chaine qui maintiennent les clés hors de la perte. En observant l’historique de ce petit objet insignifiant, on constate l’ajout de diverses fonctions douteuses. Très populaire dans les années 60, le porte-clé suscite alors une vague de cacoclétophilie. Il devient pendant un temps un objet de collection qui prends de la valeur. Dans les années 2000, le porte-clé Tamagotchi fait fureur. Quoi de mieux qu’un mini animal de compagnie à avoir toujours sur soi, sans les inconvénients du vrai ? Mais quand il prend réellement vie, comme en Chine où certains portes-clés contiennent des petits animaux vivants (poisson, tortue, lézards), les voix Européennes se révoltent face à cette application “cruelle”.  Et quand ces mêmes voix recueillent dans leurs paumes des bébés tortues qui sortent du sable pour se diriger vers les lumières du restaurant touristique, les locaux observent calmement la propitiation inconsciente : ce contact humain impactera définitivement la survie de l’animal une fois à l’eau. Je m’éloigne, RIP les bébés-tortues.
Autre fonction douteuse ajoutée : le Airtag d’Apple qui inclue une technologie capable de retrouver ses objets perdus, ou, en utilisation déviante : de localiser un proche.


Bien qu’ils constituent une masse proliférante d’objets et de production, les portes-clés font partis de la catégorie des “incognitos”, des invisibles commerciaux qui ne procurent pas grand intérêt aux créateurs. J’ai pu identifier une discrète initiative de recherche à ce sujet avec le duo de designers Laurene et Constantin Boym via leur projet «Buildings of Disasters ». Sous la même forme que les objets répliques de Tour Eiffel ou d’Arc de Triomphe, ils créés des objets-souvenirs d’évènements communs tragiques ou sérieux (exemple : Notre-Dame après sa destruction partielle). Leur pratique de réplication ne nécessite pas le déplacement car ces évènements sont largement médiatisés et photographiés. J’ai trouvé que l’utilisation des ressources publiques, massivement disponibles, était dans ce projet, pertinente. Ils différencient également les bons des mauvais souvenirs déprimants à répliquer. « Quand on ajoute une fonction utilitaire supplémentaire à ces objets-souvenirs traumatiques, c’est là qu’on bascule dans la vulgarité ».  Analyse Constantin Boym à propos d’un mug produit suite à la guerre en Irak avec l’inscription : « Operation Desert Storm, January 16, 1997 ». En effet, le souvenir d’un conflit militaire qui engendra des milliers de mort est difficilement combinable à la dégustation d’un bon café du matin.


Quand aux porte-clés Tour Eiffel de Paris, leur règne semble loin d’être menacé. Ces must-have n’ont que très peu d’alternatives éthiques touristiques. En bref, le sujet fait sourire et ne concerne pas. Que deviennent tous ces “no-bjects” de souvenirs une fois qu’ils passent au statut d“Odradek” ? Mystère. Ils doivent craindre. Craindre d’être remarqués à nouveau et placés à l’Orphelinat des Objets. Vendant certainement leurs ombres à la discrétion, le plus loin possible d’un abandon déclaré. Sachant que leurs écailles d’alliages pauvres attireraient difficilement les bonnes âmes.

La porte aux chats à paillettes ne cacherait-elle pas des portes-clés en cavale ?

Des no-bjets autonomes, rêvant d’être Régalias et, gémissant au réveil de n’être que des Rebuts-nés ?

 


FLUX : TRANSPORT À SUCCÈS


« De l’excès d’espace nous pourrions dire d’abord là encore un peu paradoxalement, qu’il est corrélatif du rétrécissement de la planète : de cette mise à distance de nous-même à laquelle correspondent les performances des cosmonautes et la ronde de nos satellites. (…) Nous sommes à l’ère des changements d’échelle, au regard de la conquête spatiale bien sûr, mais aussi sur terre : les moyens de transport rapides mettent n’importe quelle capitale à quelques heures au plus de n’importe quelle autre » p. 44. « Non-Lieux, Introduction à une Anthropologie de la Surmodernité », 1992, Marc auge.

Dans cet extrait, Marc Augé souligne un point d’une importance simple, éclipsé par l’émerveillement qu’il procure : la perception de l’espace influencé du progrès technologique à vraisemblablement changé le rapport au voyage. Cette indicible envie exponentielle de découvrir, de conquérir, plus vite, a quelque peu dissocié le corps au milieu. L’auteur exprime ces distorsions entrainées par une « vision instantanée et simultanée » due au transfert d’images d’un bout à l’autre de la planète. La réception d’images hétéroclites sur un même support implique une planéité globale qui lisse les imaginaires.
Chaque espaces touristiques génère une quantité astronomique d’images qui attirent les venues. Les venues des visiteurs recréées ensuite d’autres images répliques, qui témoignent de l’appropriation physique des premières images merveilleuses qui avait attiré. Les images magnétisent et guide le chemin des venants. Tim Ingold lui, analysera le voyageur dans ces espaces et différenciera le « passager » de l’« itinérant » :

« Comme la ligne qui part se promener, le chemin du voyageur itinérant suit son cours, pouvant marquer des pauses avant de reprendre. Mais il n’y a ni fin ni commencement. Tant qu’il est sur son chemin, le voyageur est toujours quelque part, même si tous les « quelque part » mènent toujours ailleurs. Le  monde hanté est un maillage réticulaire de ces pistes qui, tant que la vie suit son cours, continue à se tisser. Le transport, au contraire, est relié à des lieux spécifiques. Chaque déplacement, orienté vers une destination spécifique, a pour fonction de relocaliser des personnes et leurs effets. Le passager qui part d’un endroit pour arriver à un autre endroit n’est nulle part entre les deux. ».

« Une brève histoire des lignes » 2011, p110-111.

L’ouvrage éclaire une certaine façon d’être en mouvement dans la pratique du voyage. Les transports forment un réseau de connexions à travers des points nodaux. Le « voyageur passager » se transporte vers son point arrivé qui aveugle le souvenir de cette ligne mineure. Le passager n’habite pas vraiment le monde, il vit dans la séparation, mène une forme de distinction face à son environnement. Le « voyageur itinérant » traite le voyage comme une déambulation où chaque pas fait partie d’une expérience digne de lignes à considérer.


« Mais pour les habitants, l’environnement ne se définit pas par les environs d’un espace délimité; il est une zone où les différents chemins qu’ils empruntent sont complètement enchevêtrés. Dans cette zone d’enchevêtrement - maillage de ligne entrelacées -, ll n’y a ni intérieur, ni extérieur, seulement des ouvertures et des passages. En bref l’écologie de la vie doit être une écologie de fils et de traces, et non de points nodaux et de connecteurs. Son sujet d’étude doit porter non pas sur les relations entre des organismes et leur environnement extérieur, mais sur les relations qui accompagnent l’entrelacs de leurs lignes de vie. En un mot, l’écologie est l’étude de la vie des lignes » (« Une brève histoire des lignes » 2011, p.136).
 

La conception de l’environnement selon « voyageurs itinérants » est la même que celle des habitants. Selon l’auteur, ces voyageurs sont eux-même des habitants car ils habitent l’environnement sans déplacements nodaux. Dans leur marche déambulatoire, le contexte est une zone d’enchevêtrement qui accueille des ouvertures et des passages. Les voyageurs-habitants sont ceux qui vont s’approprier et étudier l’environnement entre deux points dominants. Tandis que les passagers vont considérer le départ et l’arrivée comme valeur dominante. En étudiant l’entrelacs de ces zones mineures, les habitants sont dans une démarche « d’écologie de la vie » car d’écologie de leurs traces. Ils s’approprient la zone déambulatoire selon la même attention que l’aboutissement du déplacement. La valeur entre les points ainsi aplatie, une forme d’équilibre se rétablit.

La prise de foule à l’esplanade du Sacré-coeur constitue mon apogée de l’anonymat. L’amas me donne la certitude que je ne croiserais jamais, jamais, une de mes connaissances. Si les caméras m’observe, c’est sûr, c’est moi qu’elles vérifient direct. L’esplanade est l’ouverture d’un d’Habbo Hotel physique, fait de visages furtifs venus de loins, aussitôt disparus à jamais. Un brouhaha de l’existence visuelle, où les corps se laissent aisément transpercés par des nuées d’ondes électromagnétiques. Sans personne pour voir ce carnage. Ma conviction, c’est que Cristina avait été ici.

 

Comment voir des choses dont nous avons la preuve de la présence mais l’invisibilité de la forme ?



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